«RENCONTRE AVEC CHANTAL CASEFONT» par Michel DUPART
«Etre un vrai peintre, c'est-à-dire juste et sincère, c'est tout son effort, depuis le début. Chantal Casefont évoque un moment d'errance "mais ce n'est pas mon chemin". Plus femme de décision que d'inquiétude. Elle travaille longtemps sur chaque toile. Ce sont de grands formats. Elle construit: forme et matière.
D'abord à la truelle avec du plâtre et autres éléments, du graphite pur en poudre, des liants, de l'huile, beaucoup d'huile. "Je suis une architecte de la peinture". Elle aime associer les formes par deux mais sans rien de systématique, ce serait trop rigide. Elle cultive les oppositions pour les nuancer: rigueur et souplesse, force et raffinement.
Ainsi du noir et du blanc: "Les blancs chez les Anciens sont beaux, mais ça peut être d'une brutalité!"
D'où cette gamme de gris superbes, ce travail dans la nuance. "Car nous voulons la nuance encore" écrivait Verlaine. "Rien de plus cher que la chanson grise".
Chantal Casefont sait allier le lisse au rugueux, le brillant et le mat. Deux aspects de sa personnalité suggère-t-elle. Se rendre visible mais avec discrétion, la tension du brillant et la réserve du mat. "Le brillant dans une toile prend sa place définitive, s'impose, il y a une froideur. Avec le mat on peut y revenir, le recouvrir."
Ces toiles ont une telle densité, une si grande présence qu'on y voit Chantal Casefont au travail, s'enfoncer dans un silence où elle est happée par le noir et la matière. Pigments, medium, plâtre, huile et autres ingrédients entrent dans un ballet géologique, font apparaître et disparaître des mondes - plats et reliefs, plaines et montagnes, trous, surcharges, plissements, sillons, protubérances, boursouflures se succèdent - font surgir des surfaces et les engloutissent l'instant d'après.
Ce n'est plus l'accomplissement d'un projet conscient, mais un corps-à-corps avec la matière.
Sans doute au terme de cette obscure activité voyons-nous des formes, rectangles, triangles, courbes, traits, mais il s'agit de présences physiques constituées de multiples textures que la lumière pigmente subtilement, comme des êtres coulés dans un fond, un milieu auquel ils appartiennent.
Avant de quitter les lieux, un dernier coup d'oeil. Etrange vision dans la pénombre de l'atelier. Des formes et des couleurs on ne sait ce qui s'impose en premier. Des noirs, des gris, et des rouilles qui travaillent lentement à la corrosion des surfaces; des barres et des blocs sombres souvent associés par deux qui semblent là depuis des millénaires dans une cendre grise parfois poudreuse, parfois figée comme une lave. Paysage improbable d'un astre inconnu. A moins qu'il ne s'agisse d'un espace écarté de la sidérurgie, abandonné par les travailleurs. Carrés de béton, masses de fonte, lames de fer fondues, blocs d'acier, disponibles pour des projets devenus obsolètes, et que le temps transforme en une armée de veilleurs, gardiens d'usines désertées, sculptures comme des ombres désormais sans nom, témoins d'une ancienne culture.»
M.D.